Vous êtes déjà peut-être passés devant l’incinérateur sans même vous en rendre compte. C’est dans cette « centrale d’énergie déchets de Limoges Métropole » (CEDLM) que vos poubelles partent en fumées, et alimentent le réseau de chaleur. Il se situe au nord-est de Limoges entre Beaubreuil et Ester technopole. Il dispose d’une capacité de traitement annuelle de 110 000 tonnes par an.

Construit il y a trente ans, la question du renouvellement de cet incinérateur se pose avec le renouvellement de leur exploitation programmé en 2022. C’est donc maintenant qu’il faut se mobiliser pour trouver des solutions alternatives aux millions d’euros que nécessitent les travaux de nouvelles constructions. Mais avant, Barrage Nature Environnement vous explique comment fonctionne cet incinérateur et quels sont les enjeux associés.

L’incinérateur a été mis en fonctionnement en 1989 avec 2 fours pour une capacité de traitement de 75000 tonnes par an. Un troisième four a été mis en service en 1997 pour une capacité de traitement augmentée à 90000 tonnes par ans. Depuis 2008, l’incinérateur est autorisé à traiter 110000 tonnes par ans. Tout au long de l’exploitation, des travaux couteux de mise en conformité avec les normes environnementales ont dû être réalisés par la Communauté urbaine de Limoges; en 1998, 4 M€ ont été investis afin de réduire les rejets d’acide chlorhydrique et de poussières ; en 2007, 18 M€ pour la mise en conformité avec les normes européennes de 2000 retranscrites dans le droit français en 2002 qui a considérablement diminué les seuils limite de rejets des polluants, notamment les oxydes d’azotes et les dioxines furannes ; en 2014, 1,02M€ pour l’installation de manches catalytiques réduisant de moitié la concentration en oxydes d'azote.

En 2018, ce sont 94 175 tonnes de déchets qui ont été incinérés. Bien que conçus pour traiter les déchets ménagers, l’incinérateur brûle des déchets d’origines diverses : DASRI (déchets d'activités de soins à risques infectieux provenant du CHU de Limoges), 253 tonnes de médicaments usagées proviennent de Cyclamed

Le tonnage de déchets incinéré ne diminue pas malgré la mise en application de la démarche « Territoire zéro déchets, zéro gaspillage » depuis 2015.  Cela évite les vides de fours. Un vide de four est un four qui ne fonctionne pas à plein régime par manque d’apport en matière première. Ce phénomène est problématique puisqu’il engendre des impacts techniques de fonctionnement, mais aussi des conséquences économiques relatives aux pertes de rendement de l’installation.

Concernant le fonctionnement technique, le schéma suivant détaille les différentes étapes de l’incinération des déchets, de leur arrivée dans la fosse jusqu’à la valorisation en chaleur (vapeur) et électricité :

 

Les choix techniques pris il y a trente ans pour construire ces incinérateurs l’ont été par rapport à la composition des ordures ménagères d’alors. Aujourd’hui, nos déchets ont beaucoup évolué, ce qui n’est pas sans poser des problèmes techniques, notamment sur le Pouvoir Calorifique Inférieur (PCI).

Le PCI définit la quantité de chaleur dégagée lors de la combustion d’une unité de masse (les déchets dans notre cas). Il y a trente ans les fours ont été dimensionnés pour un PCI maximum de 2 200 kWh/t. Depuis, la nature de nos déchets a évolué : le tri du verre, du carton et de certains plastiques se sont développés et ont enlevé ces déchets des incinérateurs. Aujourd’hui, les déchets dans l’incinérateur sont plus « secs » et ont un PCI plus élevé qu’auparavant. Les déchets brûlent « mieux » et ont un meilleur rendement énergétique qu’il y a trente ans. Cependant, les fours ne sont plus adaptés à une telle libération énergétique. Actuellement le PCI des déchets brûlés atteint les 2 200 kWh/t, soit le maximum. La présence des biodéchets (épluchures, restes alimentaires, …) aident à maintenir le PCI « le plus bas possible » car ils sont composés à environ 80% d’eau. Cette eau permet de stabiliser la température dans les fours d’incinération, et d’une certaine façon, de la maîtriser. Or si une forte politique de tri à la source des biodéchets était mise en place, comme l’oblige la loi de Transition Energétique pour la Croissance Verte (TECV), des impacts techniques non négligeables seraient à constater sur les fours d’incinération. En effet, ceux-ci ne seront plus calibrés pour gérer une telle libération de chaleur. On comprend ainsi pourquoi la Communauté urbaine ne semble pas très encline à s’engager massivement dans une collecte séparative des biodéchets, ou à généraliser le compostage collectif.

Afin d’assurer l’incinération optimale, 80 000 litres de fuel ont été consommés en plus des déchets. Pour dépolluer les fumées, 489 tonnes d’urée, 1071 tonnes de bicarbonate de soude, 4760 kg de soude, 60 000 tonnes de coke de lignite, 54 832 m3 d’eau brute et 11226m3 d’eau déminéralisée ont été utilisés en 2018. L’obligation d’utilisation de tous ces réactifs ne fait qu’augmenter le coût de traitement des déchets par incinération.  En ajoutant les coûts d’investissement et de maintenance de l’installation, on comprend que l’incinération est le mode d’élimination des déchets le plus onéreux dont nous disposons.

Que deviennent les déchets incinérés ? Incinérer des déchets pour alimenter le réseau de chaleur de la Communauté urbaine.

Le réseau de chaleur de Beaubreuil et de l’ENSIL est alimenté à 99,1% par l’eau chauffée par la combustion du fuel et des déchets, 40 083MWh en 2018. L’eau chauffée sous pression permet aussi de produire de l’électricité à hauteur de 13 862MWh dont un peu plus de la moitié est autoconsommé par l’incinérateur, le restant étant revendu à EDF.

L’argument de ce mode de production est « d’éliminer » les déchets tout en produisant de la chaleur à moindre coût. Celle-ci provient de la combustion de déchets, matière qui ne coûte pratiquement rien. De ce fait, les abonnés à un réseau de chaleur desservi par un incinérateur bénéficient d’une énergie moins chère mais plus toxique et polluante que tout autre procédé de génération de chaleur par combustion.

L’incinérateur se retrouve fortement corrélé aux besoins énergétiques de la Communauté urbaine, ce qui constitue un frein au développement de filières alternatives de gestion des déchets. De plus, la ville de Limoges souhaite mener une politique de développement des réseaux de chaleur. Il est notamment prévu d’étendre le réseau de chaleur et de l’interconnecter avec la centrale biomasse du Val de l’Aurence. Ce nouveau réseau alimenté par des énergies dites renouvelables, la taxation sera réduite à 5,5% au lieu de 20%.

Cette énergie « renouvelable » est caractérisée telle quelle par la Directive européenne 2001/77/CE relative aux énergies renouvelables, qui stipule que « 50% de l’énergie vendue par un incinérateur est considérée comme renouvelable, par la biomasse présente dans les OMR », autrement dit les biodéchets. Néanmoins la loi TECV impose un tri à la source des biodéchets d’ici 2023. Vis-à-vis de la Directive, si on ne retrouve plus de biomasse dans les OMR, nous assisterons à une perte du caractère renouvelable de l’énergie vendue, et ainsi, à une augmentation des taxes et des tarifs auprès des abonnés, mais aussi auprès des fournisseurs d’énergie.

L’incinération est-elle donc si durable que cela ? C’est sans compter tout ce qui ne part pas en fumée et qui a un coût environnemental, financier voire sanitaire non négligeable !

Les déchets qui entrent dans les incinérateurs ne partent pas tous en fumée !

En effet, il serait incongru de penser que tous nos déchets dans notre poubelle verte partent en fumée. Durant le processus d’incinération plusieurs types de déchets, sont générés. Après passage dans le four, tous les déchets n’ont pas réussi à brûler complétement. Ces résidus sont appelés mâchefers. Ils représentent environ 20% du tonnage entrant, soit 18 595 tonnes en 2018. Les mâchefers sont d’abord envoyés vers la plateforme de « maturation et d’élaboration » située à Chaptelat. Ils y sont stockés pendant quelques mois et arrosés afin de les décharger en polluants et les stabiliser. La réglementation, depuis un arrêté de 2011, soumet leur usage, en technique routière (remblais dans le BTP), au respect de seuils de divers polluants.

S’ils ne respectent pas ces seuils, les mâchefers ne sont pas « valorisables » et doivent être envoyés en décharge « classique », et ainsi payer le prix fort pour leur élimination (entre 80€ et 100€ la tonne, en fonction des prix du marché). Dans tous les cas, la gestion des mâchefers alourdit le « modèle économique », déjà très onéreux, de l’incinération et en particulier lorsqu’ils ne peuvent pas être utilisés en technique routière, puisque les exploitants d’usines doivent payer pour leur prise en charge par des prestataires.

En 2018, 1004 tonnes de ferrailles et 142 tonnes de matériaux non-ferreux sont récupérés suite à la combustion et revendus pour recyclage. Ces matériaux ne devraient pas être incinérer mais triés en amont.

Le traitement des fumées lors de l’incinération génère des déchets. Le passage de la fumée dans la chaudière, le refroidisseur et le filtre à manches permet de capter les particules solides. Ces particules solides, appelées Résidus d’Epuration des Fumées d’Incinération des Ordures Ménagères (REFIOM), sont stockées temporairement dans un silo. Il est à noter que ces particules constituent des déchets dangereux car elles concentrent les polluants les plus dangereux des fumées d’incinération, soit 2313 tonnes en 2018 (2,5% du tonnage entrant), qui sont onéreuses à traiter en moyenne 230 euros HT par tonnes. Les REFIOM de l’incinérateur de limoges sont stockés dans l’installation de stockage dangereux de Champteussé sur Baconne dans le Maine et Loire.

Les polluants rejetés par les fumées, parce qu'il en reste toujours, respectent les seuils d'émissions fixés par la loi depuis 2007. Sont contrôlés: le monoxyde de carbone, le dioxyde de carbone, les poussières, le chlorure d'hydrogène, les oxydes de soufre, les oxydes d'azote, l'ammoniac, les composés organiques, les métaux lourds, le mercure, le cadmium + thalium, les dioxines/furannes. Bien d'autres substances sont rejetées, et ne sont pas contrôlées. Certaines sont persistances et s'accumulent dans les tissus des organismes vivants. Aucune étude n'a été effectuée pour estimer le risque sanitaire du cocktail des polluants pour une population vivant sous le panache de fumée de l'incinérateur, qui respire 24h sur 24h et 7 jours sur 7,  toutes ces molécules toxiques.

Les eaux résiduaires sont testées pour 22 polluants avant d’être rejetées dans le réseau d’assainissement collectif de Limoges, à la condition que les polluants mesurés de dépassent pas les seuils autorisés.

L’incinération réduit donc véritablement le volume de déchets, mais il ne faut certainement pas croire que ceux-ci disparaissent, comme nous l’avons montré précédemment. Les déchets une fois incinérés changent seulement d’état, et nous continuons à les rejeter dans l’environnement.

Source des illustrations : http://www.haute-vienne.gouv.fr/Politiques-publiques/Environnement-risques-naturels-et-technologiques/Commissions-de-suivi-de-sites-CSS/Reunion-de-la-Commission-des-Sites-de-la-Centrale-Energie-Dechets-du-27-mars-2019